Retour sur 2020 : deux décisions majeures dans le paysage européen des brevets de pharmacie

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L’année 2020 a été une année active pour la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), l’organe juridictionnel de l’Union européenne (UE), censée éviter les interprétations incohérentes du droit de l’UE parmi les États membres. Avec deux décisions rendues en avril et juillet 2020, la CJUE a fait des progrès notables pour clarifier le Règlement CE 469/2009 qui régit les certificats complémentaires de protection (CCP) sur les médicaments (ici le « Règlement sur les CCP »).

La décision Royalty pharma a voulu clarifier le niveau de précision selon lequel un produit doit être identifié dans un brevet pour être éligible à un CCP. La décision Santen concernait un CCP soumis pour une application thérapeutique différente du même produit pour lequel une autorisation de mise sur le marché (AMM) antérieure avait été accordée.

La décision Royalty Pharma (C-650/17)

Les faits : Le brevet européen 1 084 705, détenu par Royalty Pharma, concerne des inhibiteurs de la dipeptidyl peptidase IV (inhibiteurs de la DP-IV), destinés à être utilisés pour réguler une glycémie. Royalty Pharma a soumis une demande de CCP sur la base de l’autorisation de mise sur le marché de la sitagliptine, un inhibiteur de la DP-IV développé après la date de dépôt du brevet. Le CCP a été refusé par l’office allemand des brevets en vertu de l’art. 3a) du Règlement sur les CCP. L’office allemand des brevets a ensuite saisi la CJUE.

Selon l’article 3a) du règlement CCP, « le produit doit être protégé par un brevet de base en vigueur ». Mais que signifie le terme « protégé » ? Ce n’est pas aussi simple que cela peut paraître.

Le règlement CCP n’exige pas que le brevet revendique spécifiquement le produit. Cependant, que le produit entre dans le champ de protection du brevet, par exemple par « un test de contrefaçon », n’a pas non plus été jugé suffisant.

Le 25 juillet 2018, dans la décision Teva / Gilead (C-121/17) qui portait sur une combinaison d’ingrédients actifs, la CJUE a proposé un test à deux volets pour déterminer si les exigences de l’art. 3a) sont remplies :

– la combinaison de ces principes actifs doit nécessairement, à la lumière de la description et des dessins de ce brevet, relever de l’invention visée par ce brevet, et

– chacun de ces principes actifs doit être spécifiquement identifiable, à la lumière de toutes les informations divulguées par ce brevet.

Dans la décision Royalty Pharma du 30 avril 2020, la CJUE a confirmé que le test proposé dans la décision Teva / Gilead est également applicable à un seul principe actif.

La CJUE a confirmé le point de vue de l’office allemand des brevets et a également détaillé des indices pour reconnaître si un produit est « protégé » par le brevet de base. En bref, le produit qui entre dans le champ d’application du brevet n’a pas à être « individualisé » mais doit être « identifiable » dans le brevet, à la date de dépôt du brevet. Dans la pratique, on peut déjà prévoir de nouvelles batailles juridiques pour déterminer si réellement le produit est « identifiable » dans le brevet, en particulier lorsque des produits biologiques sont en jeu. À l’inverse, la CJUE a jugé qu’aucun CCP ne pouvait être accordé pour un produit couvert par une définition fonctionnelle donnée dans les revendications du brevet mais qui aurait été « développé » après la date de dépôt du brevet, « après une activité inventive indépendante ». Si les efforts de la CJUE doivent être reconnus, une telle décision ouvre encore la voie à de nouvelles incertitudes. Quel stade de « développement » les juges avaient-ils en tête ? Comment « l’activité inventive indépendante » doit-elle être appréciée ?

La décision Santen (C-673/18)

Les faits : le brevet européen 1 809 237, détenu par Santen, concerne les émulsions ophtalmiques huile-dans-eau. Santen a demandé un CCP sur la base de l’autorisation de mise sur le marché d’Ikervis®, une émulsion de collyre à la ciclosporine. Le CCP a été refusé par l’office français des brevets en vertu de l’art. 3d) du Règlement sur les CCP à la lumière de l’existence d’une autorisation de mise sur le marché antérieure du médicament Sandimmun®, dont l’ingrédient actif est également la ciclosporine. L’office français des brevets a ensuite saisi la CJUE.

Selon l’art. 3d) du règlement CCP, l’autorisation de mise sur le marché sur laquelle se fonde la demande de CCP doit être la première autorisation de mise sur le marché du produit.

Cet art. 3d) a d’abord été lu de manière restrictive: un CCP ne pouvait pas se baser sur une autorisation de mise sur le marché (AMM) ultérieure obtenue à partir d’un produit déjà autorisé. En 2012, la CJUE a renversé ce dogme par la décision Neurim, jugeant que « la simple existence d’une autorisation de mise sur le marché antérieure obtenue pour un médicament vétérinaire n’empêche pas l’octroi d’un certificat complémentaire de protection pour une application différente du même produit [… ] ». La boîte de Pandore s’est ainsi ouverte, créant des incertitudes juridiques et soulevant plusieurs questions sur la signification du terme « une application différente » à laquelle la décision Neurim faisait référence.

Certaines réponses ont été apportées dans l’arrêt Abraxis (C-443/17) du 21 mars 2019 dans lequel la CJUE a jugé qu’une AMM concernant une nouvelle formulation d’un produit autorisé ne pouvait pas être considérée comme la première AMM au sens de l’art. 3d).

Le 9 juillet 2020, la CJUE, dans l’affaire Santen, a annulé la décision Neurim et a fourni une interprétation claire et stricte de l’art. 3d). La Cour a confirmé le point de vue de l’office français des brevets qui avait refusé le CCP à Santen et a estimé qu’une AMM ne pouvait pas être considérée comme la première AMM au sens de l’art. 3d) lorsque l’AMM concerne une nouvelle utilisation médicale d’un principe actif (ou d’une combinaison de principe actifs) connu, qui a déjà fait l’objet d’une AMM pour une autre utilisation médicale.

L’arrêt Santen ainsi que la décision Abraxis semblent clore le débat : désormais, une AMM concernant une nouvelle utilisation médicale d’un produit antérieurement approuvé ne peut pas être invoquée comme base d’un CCP pour ce produit. La décision Santen n’est pas une bonne nouvelle pour les titulaires de CCP, mais c’est certainement un soulagement pour les fabricants de génériques qui pourraient vouloir contester la validité des CCP qui ont étendu la protection par brevet sur la base d’autres utilisations médicales autorisées. La limpidité de la décision Santen doit également être soulignée : voici une décision de la CJUE qui, pour une fois, ne soulève pas plus de questions.

Elodie VERHAEGHE BECT et Béatrice TEZIER HERMAN

ARTICLE RÉDIGÉ PAR :

Elodie VERHAEGHE BECT, PhD

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